Le héros ordinaire, retrouver le goût du sacrifice imperceptible

passage du « personnage principal » au héros de tous les jours.

« Ou bien nous succombons même à des tentations que la majorité des hommes peut vaincre, ou bien, au contraire, nous triomphons même de celles où la plupart des hommes succombent. » – Aristote

Héros = homme fort + bagarre.

Un ami me disait un jour : « tu sais Milla, je crois qu’un héros c’est un homme qui, quand il rentre d’une journée absolument éreintante, et qui se cogne l’orteil contre un meuble, eh bien il ne criera pas, il ne pleurera pas, il ne jurera pas. » Et, bien que cette définition ne soit pas des plus formelles, il y a quelque chose de très fort dans ces mots.

Un héros ordinaire est un homme admirable par ses vertus. C’est un homme ou une femme si fort et tempérant qu’au moment où la plupart des personnes s’effondrerait, il ou elle reste debout, ferme et calme.

C’est vrai que dire « héros ordinaire » est certainement un oxymore. Si l’on regarde l’étymologie du terme on apprend que  » héros  » en grec signifie  » demi-dieu » ou  » tout homme élevé au rang de demi-dieu  » ou bien que «  héros  » signifie  » homme de grande valeur  » en latin. Et on le voit dans les épopées : le héros est un guerrier de valeur exceptionnelle.

Un peu de nuance, que diable !

Ainsi, le héros est au-dessus de l’humanité ordinaire. Mais je pense qu’on peut, et qu’on doit parler du héros ordinaire. L’enjeu est de faire descendre cet idéal sur notre condition de mortels en vue de le rendre plus accessible. Alors, certes, nous ne serons jamais des demi-dieux ou des guerriers tuant un nombre incalculable d’ennemis ou déracinant des troncs d’arbres. La perspective que j’adopterai lors de cet écrit sera celle qui se penche sur l’aspect moral du héros et non l’aspect physique. 

Il est évident qu’une certaine forme physique est nécessaire. Tout d’abord car les hommes doivent pouvoir se battre car ils endossent naturellement le rôle de protecteur. Mais il en va de même pour les femmes qui travaillent elles aussi, cette fois-ci en vue de la santé de leurs enfants.

Le cas Hercules

Il est important de distinguer le héros entendu au sens classique, et le héros moral. Hegel explique cela en prenant l’exemple de Hercules, reconnu comme étant un héros pour sa force incommensurable mise au service de la justice. Pour autant, pouvons-nous le considérer comme un héros moral ? Hegel rappelle cette anecdote selon laquelle Hercules engrossa une multitude de femmes en une seule nuit.

En termes de tempérance on a connu mieux… Mon avis est que dans ce monde, il faut de ces deux types de héros : des héros qui propulsent leur pays vers l’avant, des héros rendus immortels par la trace qu’ils laissèrent derrière eux, dont leur nom est inscrit pour toujours dans l’Histoire. Mais, faut-il uniquement mettre en avant ces hommes et femmes extraordinaires pour leur capacité physique ou intellectuelle ?

Cela signifierait vouloir une société constituée d’individus qui agissent en eux et pour eux. Hegel l’explique très bien ainsi : « Mais dans l’âge héroïque, où l’individu est essentiellement un, et où l’objectif, en tant qu’il émane de lui, est et demeure son bien propre, le sujet veut alors aussi avoir fait, et avoir fait seul, la totalité de ce qu’il fait et intégrer complètement en soi ce qui a été accompli ».

Le risque est de tomber dans une société individualisante. Chacun souhaiterait devenir le héros de l’histoire, ou bien ce qu’Internet promeut comme étant le « personnage principal ». 

Le héros : deux faces d'une même pièce.

En effet, une tendance actuelle sur les réseaux et de partager des vidéos où le focus est mis sur soi, et où on agit comme le personnage principal d’un film. Qu’est-ce que cela signifie ? Après plusieurs recherches, j’ai pu dégager deux visions des choses.

La première, positive, cherche à trouver les moyens pour devenir davantage acteur de sa propre vie, de ne pas se laisser envahir par des affects passifs (je renvoie ici à la lecture de Yves Clots, Vigotsky et Spinoza). Le problème en effet, c’est lorsque nous devenons des esclaves face à un tyran.

Le tyran peut prendre différentes formes : cela peut être un patron, nos propres passions, le consumérisme etc. Vivre comme un esclave signifie ne pas obéir à ce que veut naturellement notre volonté, c’est-à-dire le Bien. Lorsque nous sommes en esclavage, nous nous laissons entrainer comme un chien mort dans une rivière. Ainsi, en devenant le « personnage principal » ce qu’on veut, c’est décider librement, ne pas faire défiler son écran toute la journée, devenir actif et efficace.

Une autre forme de faiblesse.

Ceci est une bonne chose, il s’agit de lutter contre l’acrasie, mot grec signifiant la faiblesse de volonté. Mais la face cachée de cette tendance à vouloir devenir le « personnage principal » ressort à partir d’une mauvaise compréhension de la liberté et de l’esclavage.

En effet, une seconde manière de promulguer la manière de vivre du héros d’un film, est selon le prisme de l’égoïsme. Souvent, les réseaux mettent en exergue des personnes en quête d’attention. Le véritable héros agit pour une cause qu’il juge noble, pensons à Antigone.

Ainsi, pour bien comprendre l’articulation entre les notions de héros et d’individualisme il faut avoir en tête que le héros est autonome et seul dans la réalisation de son action. Néanmoins, il ne tombe jamais dans le narcissisme ou la vantardise. Le véritable héros reçoit des éloges parce qu’il le mérite.

La clé du héros est la sobriété.

En cela il fait preuve de magnanimité. Alors que nos contemporains sont demandeurs (à un niveau parfois même pathologique) d’attention, mais pour des actions insignifiantes comme danser devant son écran ou pour la validation de la part d’inconnus de leurs émotions exacerbées jusqu’à l’indécence. Hegel manifeste cette réalité qui, sous d’autres formes, avaient déjà lieu à son époque, en ces termes : « L’individu singulier n’est plus désormais le porteur et l’effectivité exclusive de ces puissances (le droit, l’éthos et la légalité), comme c’était le cas dans l’héroïsme ».

Désormais, le personnage principal, le héros des temps modernes est semblable à un petit enfant qui désespère de recevoir de l’attention. Pour ce faire, il crie, il gesticule, il souffle sur la bougie d’anniversaire des autres enfants etc. Enfin, vous voyez le genre… J’aime cette phrase de Marc-Aurèle dans ses Pensées qui explique l’enseignement qu’il retire de Sextus qui est le suivant : « L’art de savoir sans bruit adresser des louanges, de connaître beaucoup sans chercher à briller ». Voici l’enjeu de notre temps si nous voulons devenir des hommes et des femmes exemplaires pour nos vertus : rester dans l’humilité et la discrétion. De là, nos actions n’en seront que plus belles et plus resplendissantes.

Qui plus est, aujourd’hui, on se veut être des individus déracinés de nos origines qu’on considère comme honteuses, détachés de nos relations avec nos ancêtres pour s’affirmer et se mettre sur un piédestal qu’on aurait soi-disant construit nous-même. Or, le héros de l’antiquité n’était pas comme cela. Hegel dit : « Mais dans l’antique totalité plastique, l’individu n’est pas isolé en lui-même : il est membre de sa famille, de son clan. C’est pourquoi le caractère, la conduite et le destin de la famille demeurent l’affaire propre de chaque membre et, bien loin de renier les actes et la destinée de ses parents, chaque individu singulier les prend au contraire volontairement sous sa responsabilité comme les siens propres ; ils vivent en lui, et c’est ainsi qu’il est ce que ses pères furent, endurèrent ou perpétrèrent. »

Héros et anti-héros.

Cela est une considération que beaucoup ont perdu : l’amour pour la terre de nos pères, le patriotisme, ce d’où nous venons, ce qui nous donne un sens. Cette perte est ni plus ni moins qu’une tragédie. Souvent donc, cette mode du « personnage principal » issue du développement personnel cherchant à faire de l’individu un roi ou à l’élever au rang de dieu, développe en réalité la croissance de anti-héros, cherchant à détruire le monde par orgueil ou pure méchanceté.

Notons d’ailleurs que la plupart du temps les anti-héros ont une enfance déplorable : manque cruel d’attention, parents narcissiques ou absents, schéma que nous retrouvons hélas chez un bon nombre de nos contemporains, causant de terribles troubles mentaux. 

Un héros ordinaire est fort et tempérant.

Alors, comment passer du rôle de « personnage principal » à quelqu’un de véritablement vertueux ? Comment devenir un héros au quotidien ? Marc Aurèle a de très belles sentences telles que : « Supporter la fatigue et se contenter de peu ; faire soi-même sa besogne, et ne pas s’ingérer dans une foule d’affaire » ou bien : « La perfection morale consiste en ceci : à passer chaque jour comme si c’était le dernier, à éviter l’agitation, la torpeur, la dissimulation ». Cela me rappelle la définition que me proposait mon ami. Force et tempérance : voilà des vertus clefs. L’objectif n’est pas de plaire à autrui, de chercher son attention ou sa validation. Croître en vertu c’est se surpasser, tendre davantage vers l’ange que la bête.

Le héros : destiné au sacrifice ?

En outre, l’homme courageux revêt l’habit du martyr puisqu’il s’agit du genre d’homme qui a le plus le goût du sacrifice et, de fait, risque de mourir bien jeune. Pourtant, c’est aussi ceux qui, par leurs actions, sont les plus dignes d’éloges et, heureux d’avoir accompli la justice, ils pourraient vivre une vie tout à fait contents d’eux-mêmes. Or, puisqu’ils sont courageux, ils accomplissent des actions héroïques, actions qui les entraînent vers leur trépas

Le héros : destiné à la noblesse ?

Encore une fois, Aristote l’écrit ainsi : « Si dès lors la fin concernant le courage est de même ordre, la mort et les blessures seront pénibles à l’homme courageux, qui les souffrira à contre-cœur ; il les endurera néanmoins, parce qu’il est noble d’agir ainsi, ou qu’il est honteux de s’y dérober. Et plus la vertu qu’il possède est complète et grand son bonheur, plus aussi la pensée de la mort lui sera pénible : car c’est pour un pareil homme que la vie est surtout digne d’être vécue , c’est lui que la mort privera des plus grands biens, et il en a pleinement conscience : tout cela ne va pas sans l’affliger. Mais il n’en est pas moins courageux, peut-être même l’est-il davantage, parce qu’il préfère les nobles travaux de la guerre à ces grands biens dont nous parlons. »

L'Homme : destiné à l'héroïsme ?

Comment pouvons-nous, à notre échelle, dans notre quotidien, devenir courageux et se rapprocher toujours plus de la figure du héros ? Il est vrai que d’une certaine manière nous sommes en guerre. Certes l’affrontement n’est pas encore physique. Néanmoins nous connaissons une guerre idéologique contre ces soi-disant « éveillés » qui s’attaquent à la liberté de pensée, à la liberté d’expression, à la science et en particulier à la biologie. Et ils s’attaquent à nos enfants. Alors comment développer son courage ? C’est en forgeant qu’on devient forgeron comme dirait l’adage. Ainsi, il faut combattre et abattre ce qui symbolise la mort pour nous : le péché, le vice tels que l’orgueil et la paresse, l’ignorance etc.

Conclusion

Devenir courageux c’est bâtir une forteresse intérieure, une vie morale inébranlable, entourée par des remparts solides, symbole de la connaissance. Il faut connaître l’Histoire et aimer le Savoir, respecter la terre de ses ancêtres pour continuer leur combat en la protégeant. Se battre pour la vérité, voilà l’aventure qui nous attend aujourd’hui, voilà qui fera de nous des hommes en des femmes courageux.