Silence et solitude

repli ou ouverture de soi à autrui ?

Richesses et adversités de la vie à la campagne

Après trois ans d’études de philosophie à Paris, me voilà de retour au bercail, de retour dans ma Drôme natale. Vivre dans la capitale est un enchaînement d’éblouissements en tous genres : entre les bâtiments subjuguant et les hommes écœurants déguisés en chiens dans le Marais, difficile de trouver le repos.

Et quand bien même la tentation serait de rester chez soi, comment souffler alors que l’on a l’impression d’étouffer entre quatre murs ? En me replongeant dans la lecture des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, j’ai relu un magnifique passage qui converge quelque peu avec mon expérience :

« C’est de cette époque que je puis dater mon entier renoncement au monde et ce goût vif pour la solitude qui ne m’a plus quitté depuis ce temps-là. L’ouvrage que j’entreprenais ne pouvait s’exécuter que dans une retraite absolue ; il demandait de longues et paisibles méditations que le tumulte de la société ne souffre pas. Cela me força de prendre pour un temps une autre manière de vivre dont ensuite je me trouvai si bien que ne l’ayant interrompue depuis lors que par la force et pour peu d’instants, je l’ai reprise de tout mon cœur et m’y suis borné sans peine aussitôt que je l’ai pu ».

Renoncer au monde

Que signifie « renoncer au monde » ? Rousseau parle de la société de son époque, celle revêtue de parures soignées comme d’hypocrisie. En d’autres termes, la société dans ce qu’elle a de mondain, de faux et de superficiel.

Aujourd’hui quand on parle de « se retirer du monde » on veut surtout dire s’éloigner du bruit des Raves parties ou autres fêtes de ce genre, se contenter des choses simples plutôt que de s’empiffrer de tout ce qui peut être consommé, de développer des relations fortes plutôt que d’entretenir ses followers sur les réseaux etc.

Ainsi, se retirer du monde c’est prendre un certain contre-pied, aller à contre-courant du mode de vie qui, de manière pernicieuse, se présente comme le plus agréable et le plus à même de nous rendre vivant.

Or, je prends le parti de ceux qui considèrent la campagne comme étant cette « retraite absolue », la nature comme ce don agréable au corps et à l’âme, et le travail de la terre comme ce qui nous fait le plus sentir la douleur et la joie d’être vivant.

Hélas, la ville est souvent un obstacle à ce mode de vie. Comment faire pour ceux qui doivent y habiter pour des raisons professionnelles ?

Paris et le silence

Ce qui me marqua le plus à Paris fut le bruit. Dès que je sortais de mon studio pour aller à l’IPC, le bruit assourdissant des marteaux piqueurs ou autres engins que les hommes savent mieux nommer que moi, devenait normal à la longue.

Mais ce n’est pas normal de s’habituer à une telle agression (nous savons d’ailleurs oh combien notre Etat républicain met de malice à minimiser n’importe quelle agression…).

Le cardinal Sarah dit à juste titre dans La force du silence : « Le silence intérieur est la fin des jugements, des passions et des désirs. Lorsque nous aurons acquis le silence intérieur, nous pourrons le transporter dans le monde et prier partout. Mais de même que l’ascétisme ne peut s’obtenir sans mortifications concrètes, il est absurde de parler de silence intérieur sans silence extérieur » p.45

Ces paroles manifestent plusieurs choses. Tout d’abord qu’il est nécessaire à l’homme de se retirer de temps en temps en des lieux paisibles et silencieux. Et je mets quiconque au défi de me trouver un endroit plus reposant qu’une abbaye.

Ainsi, le silence extérieur descendra en nous comme une pluie purifiante. Et le retour au monde se fera dans la tranquillité de l’âme.

Solitude de la campagne

Car l’un des écueils dans lequel nous pourrions tomber serait d’avoir une vision manichéenne comme suit : la campagne = le bien ; la ville = le mal. Je reste convaincue que la campagne ravie, satisfait et épanouie davantage l’âme humaine que la ville qui a majoritairement tendance à l’asphyxier. Néanmoins, la campagne a son lot de difficultés, et la ville offre des trésors incomparables (monuments, musées, opportunités, universités…).

Sûrement ce problème peut se résoudre par une notion de proportion. Rousseau semble hélas tomber dans cet écueil. Pour lui, la campagne est un refuge contre les hommes qui l’ont blessé. Il le dit ainsi : « C’est la chaîne des idées accessoires qui m’attache à la botanique.

Elle rassemble et rappelle à mon imagination toutes les idées qui la flattent davantage. Les prés, les eaux, les bois, la solitude, la paix surtout et le repos qu’on trouve au milieu de tout cela sont retracés par elle incessamment à ma mémoire.

Elle me fait oublier les persécutions des hommes, leur haine, leur mépris leurs outrages et tous les maux dont ils ont payé mon tendre et sincère attachement pour eux. Elle me transporte dans des habitations paisibles au milieu de gens simples et bons tels que ceux avec qui j’ai vécu jadis. Elle me rappelle à mon jeune âge et mes innocents plaisirs, elle m’en fait jouir derechef, et me rend heureux bien souvent encore au milieu du plus triste sort qu’ait subi jamais un mortel » p.149

Il insiste sur la malice et la méchanceté des hommes pour valoriser (voire diviniser) la nature.

Mais, cette vie intérieure qui a fleuri par la présence bienfaitrice de la nature, n’aurait-elle pas grandi en vain si ce n’est pour partager ses fruits avec autrui ? Le silence est bénéfique lorsqu’il n’est pas une clôture qui nous enferme vers l’extérieur.

Le silence devient vertueux quand, au contraire, il nous ouvre vers l’extérieur, vers autrui. Soit le silence est pratiqué pour n’entendre que parler de nous (c’est le cas de certaines méditations) soit pour davantage écouter notre prochain. 

Silence et charité

Ceci aura pour conséquence d’accroître la vertu de charité. Et je trouve qu’il s’agit là d’une belle réponse qu’on peut faire au pessimisme et à la misanthropie de notre cher Rousseau. En effet, le cardinal Sarah l’exprime ainsi :

« Le silence de la vie quotidienne est une condition indispensable pour vivre avec les autres. Sans la capacité du silence, l’homme n’est pas capable d’entendre son propre entourage, de l’aimer et de le comprendre. La charité naît du silence. Elle procède d’un cœur silencieux capable d’écouter, d’entendre et d’accueillir. Le silence est une condition de l’altérité et une nécessité pour se comprendre soi-même. Sans silence, il n’y a ni repos, ni sérénité, ni vie intérieure et paix. Le silence et la paix battent d’un seul cœur. » p.46

Cependant, cultiver le silence est loin d’être simple. Une fois installée dans ma nouvelle demeure, perdue au milieu de nulle part et entourée de vastes champs, mon mauvais réflexe fut de me réfugier dans le bruit : musique et vidéos. Que la solitude fait peur ! Que le silence est angoissant ! J’avais l’impression que quelque chose d’effroyable pouvait m’arriver, sans que personne ne puisse venir à mon aide.

Encore une fois, le cardinal Sarah l’explique parfaitement en ces termes : « Sans bruit, l’homme est fiévreux, fébrile, perdu. Le bruit le sécurise, comme une drogue dont il est devenu dépendant. Avec son apparence de fête, le bruit est un tourbillon qui évite de se regarder en face. L’agitation devient un tranquillisant, un sédatif, une pompe à morphine, une forme de rêve, d’onirisme sans consistance. Mais ce bruit est une médication dangereuse et illusoire, un mensonge diabolique qui permet à l’homme de ne pas se confronter à son vide intérieur. Le réveil ne peut être que brutal. » p.47

Conclusion

J’étais moi-même sans le savoir devenue dépendante au bruit. Pour moi, le silence va de pair avec la nuit et donc avec l’inconnu, la vulnérabilité et le danger. Dès lors, le bruit me masquait ces peurs. Mais plus j’écoutais du contenu audio externe, moins mes propres réflexions pouvaient se développer et ma prière s’élever. Il devenait donc urgent d’accepter le silence et la solitude et de découvrir les merveilles qui s’y cachent, une fois l’appréhension première dépassée.

Il faut donc ordonner à nos passions et nos jugements de se taire, pour nous permettre d’écouter autrui, ainsi que de laisser Dieu nous parler. En effet, nous sommes responsables de l’ordre que nous pouvons mettre à notre échelle. Et cet ordre commence par celui de notre âme.